Annulation du permis de conduire et rupture du contrat de travail.
La politique menée depuis plusieurs années en matière d’infractions routières a multiplié les situations dans lesquelles des salariés se trouvent privés de leur permis de conduire. Parfois, ce dernier est pourtant nécessaire à l’exécution de leur contrat de travail.
Dans une telle situation, l’employeur peut-il rompre le contrat de travail du salarié ?
La Cour de cassation s’est exprimée à plusieurs reprises sur cette question.
Elle a ainsi jugé que la privation de son permis de conduire pour une durée indéterminée interdisait au salarié de poursuivre la relation contractuelle dans les conditions initiales et qu’il en résulte que le licenciement de celui-ci procédait d’une cause réelle et sérieuse. (Cass. Soc., 28 janvier 2004, 01-45881)
Néanmoins, la Haute juridiction a également précisé qu’ « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail », que « le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail » et en concluait que l’employeur était tenu de verser au salarié les salaires de la période de mise à pied et l’indemnité compensatrice de préavis. (Cass. Soc., 3 mai 2011, n°09-67464)
Si la perte de l’ensemble des points sur le permis de conduire d’un salarié, et de fait l’annulation de ce dernier, peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, qu’en est-il alors lorsque la décision administrative informant le salarié de la perte de validité de son permis de conduire se trouve annulée postérieurement à la rupture du contrat de travail ?
C’est la situation particulière dont a eu à connaître la cour d’appel d’Orléans. (CA Orléans, 8 décembre 2011, RG n° 10/03663)
Le cas d’espèce était le suivant :
Un salarié occupant les fonctions d’ingénieur technico-commercial effectuant de nombreux déplacements et disposant d’un véhicule de service se voit notifier par le Ministre de l’Intérieur le fait que son permis n’est plus valide en raison de la perte de l’ensemble de ses points et qu’il doit en conséquence le restituer aux autorités administratives.
Il en informe son employeur qui lui notifie un mois plus tard son licenciement pour cause réelle et sérieuse motivé par le fait que son permis lui est indispensable pour l’exercice de ses fonctions, qu’aucune solution ne permet la poursuite de celles-ci et qu’il se trouve dès lors dans l’impossibilité d’exécuter son contrat de travail.
Près d’un an plus tard, la juridiction administrative annule notamment trois décisions de retrait de points et celle du Ministre de l’Intérieur informant le salarié du solde nul de son nombre de points et de la perte de validité de son permis de conduire.
Dans ces circonstances, la chambre sociale de la cour d’appel d’Orléans a jugé qu’ « eu égard à l’effet rétroactif que comporte une décision de l’autorité administrative rapportant un acte antérieur, ou une décision de la juridiction administrative annulant un tel acte, le jugement du Tribunal Administratif a conféré au salarié un droit définitivement acquis à être réputé n’avoir jamais eu son permis de conduire annulé. »
Elle en a ainsi conclu qu’ « en se plaçant à la date du licenciement, celui-ci ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse, l’annulation du permis du salarié, et en conséquence l’impossibilité de conduire étant réputées n’avoir jamais existé. »
Dans ces conditions, l’employeur a posé une question prioritaire de constitutionnalité devant la chambre sociale de la Cour de cassation formulée dans les termes suivants :
« les articles L. 1232-1 et L. 1235-1, alinéa 1er, du code du travail, tels qu’ils sont interprétés par la Cour de cassation, en ce qu’ils impliquent qu’un licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et donne dès lors lieu à indemnisation du salarié lorsqu’une décision administrative informant celui-ci de la perte de validité de son permis de conduire est annulée et est rétroactivement réputée n’avoir jamais existé, quand bien même la perte de validité du permis de conduire était constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement au jour où il a été prononcé, sont-ils contraires à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle garanties par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? »
Réponse de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 13 juillet 2012 :
« la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ; les dispositions législatives contestées se bornent à imposer la justification de tout licenciement pour motif personnel par une cause réelle et sérieuse et le contrôle du respect de cette obligation par le juge ; ainsi, la violation des principes allégués par les requérants ne trouve pas son origine dans ces dispositions ; en vertu du principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Cour de cassation est tenue de faire application de la règle selon laquelle l’annulation d’une décision administrative a un effet rétroactif ; cet effet rétroactif de l’annulation n’est pas contraire à la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle. »
La Haute juridiction en conclut que « la question n’est pas sérieuse et qu’il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel »
(Cass. Soc., 13 juillet 2012, 12-13522)
L’employeur doit donc être extrêmement vigilant lorsqu’il est confronté à l’annulation du permis de conduire de l’un de ses salariés. Si l’annulation du permis de conduire du salarié peut constituer un motif réel et sérieux à la date de son licenciement, ce dernier pourra être remis en cause par une décision administrative postérieure.
L’insécurité dans laquelle se trouve l’employeur dans de telles circonstances peut rappeler à certains égards les difficultés liées par exemple à l’annulation de l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé ou encore à l’annulation d’un avis d’inaptitude délivré par le médecin du travail, hypothèses dans lesquelles également une décision postérieure au licenciement peut entrainer des conséquences financières importantes pour l’employeur.